Relais de croissance pour les opérateurs boursiers, le marché des produits dérivés de gré à gré pèse 600.000 milliards de dollars. Il est à l’origine de l’intérêt porté par Deutsche Börse et ICE au LSE.
La (peut-être) future mariée est belle. Le London Stock Exchange (LSE), qui gère, entre autres, la Bourse de Londres et celle de Milan, a publié ce vendredi 4 mars un chiffre d’affaires en hausse de près de 50%, au titre de l’exercice 2015, à 1,325 milliard de livres (1,715 milliard d’euros). Les dernières lignes du compte de résultat sont à l’avenant, avec un bond de 73% du bénéfice opérationnel, à 404 millions de livres, et un profit net qui a plus que doublé, à 328 millions de livres. Ces performances permettront au LSE, objet des convoitises de Deutsche Börse et de l’Américain ICE (Intercontinental Exchange), de verser à ses actionnaires un dividende en progression de 20%, à 25,2 pence par action, au titre de l’exercice écoulé.
Autant de chiffres qui pourraient inciter ICE à sortir du bois d’ici au 22 mars, date à laquelle Deutsche Börse devra confirmer aux autorités de marchés britanniques qu’il envisage bien de fusionner avec le LSE, ou, sinon, se retirer. Pour rappel, le gestionnaire de la Bourse de Londres avait indiqué le 23 février mener des discussions approfondies avec Deutsche Börse, en vue d’une possible « fusion entre égaux. » Mais, moins d’une semaine plus tard, ICE, qui gère notamment la Bourse de New York, faisait part de ses velléités de rapprochement avec le LSE, sans toutefois déposer d’offre officielle. Un bal des prétendants auquel pourrait également s’inviter un autre opérateur boursier américain, le CME (Chicago Mercantile Exchange), d’après l’agence Bloomberg.
La montée en puissance de plateformes alternatives
Pourquoi ce retour des grandes manœuvres dans le secteur, à peine plus de deux ans après le rachat de Nyse Euronext par ICE, qui avait débouché en juin 2014 sur l’introduction en Bourse d’Euronext, le gestionnaire des places de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne ? D’abord, les opérateurs boursiers classiques sont confrontés depuis quelques années à une nouvelle concurrence, celle de plateformes alternatives, d’autant plus compétitives qu’elles sont plus ou moins régulées. Or, pour inciter toujours davantage de sociétés à se coter en Bourse et, plus généralement, à faire appel aux marchés financiers, il n’y a pas de secret, il faut faire état de volumes d’activité importants.
D’où la nécessité, pour les opérateurs classiques, de se regrouper. Seul, le LSE affiche certes une part de marché de 30% sur les actions en Europe, mais celle de Deutsche Börse n’excède pas 15%. Alors qu’à eux deux, ils pourront revendiquer une part de marché de 45%. Pour autant, l’enjeu principal du rapprochement entre le LSE et Deutsche Börse ne réside pas dans les marchés actions, qui sont matures et présentent donc un potentiel limité. Non, la raison d’être de ce projet de fusion, et de la possible cour que le CME et ICE pourraient faire au LSE, ce sont les produits dérivés de gré à gré.
Les dérivés OTC, un potentiel de 600.000 milliards de dollars
Egalement appelés dérivés OTC (over the counter), ces produits, qui ont pour sous-jacent des actions, des obligations ou bien encore des taux d’intérêt et qui servent à la base à se couvrir contre des risques financiers, ont ceci de différent avec les dérivés listés qu’ils sont échangés de façon bilatérale, hors des marchés réglementés des grands opérateurs boursiers, et qu’ils ne sont pas soumis à une compensation obligatoire. Une particularité à laquelle le G20 de Pittsburgh, en 2009, avait voulu mettre fin, convaincu que le manque de transparence et de sécurité du marché des dérivés de gré à gré avait contribué à aggraver la crise financière de 2008. A l’image de la loi Dodd Frank aux Etats-Unis, la directive européenne Emir (European Market Infrastructure Regulation) va ainsi obliger les transactions sur dérivés OTC à passer par l’intermédiaire de chambres de compensation centrales, chargées de garantir la bonne fin des opérations et le sérieux des engagements des contreparties.
Une obligation qui entrera progressivement en vigueur, à partir de juin 2016. Or si le marché des dérivés listés pèse 60.000 milliards de dollars, le poids des dérivés de gré à gré se monte à… 600.000 milliards. Une véritable manne en perspective pour les opérateurs boursiers, tant pour leurs activités d’échanges que pour leur métier de compensation. Et si deux acteurs sont déjà bien positionnés sur le marché européen des dérivés listés, c’est justement Deutsche Börse, via sa filiale Eurex, qui jouit d’une part de marché de 50%, et ICE, au travers du Liffe (30%). Quant au LSE, il bénéficie d’une position dominante dans la compensation de dérivés de taux. Son rachat par ICE permettrait donc à ce dernier de renforcer son développement sur le Vieux Continent. La bataille pour remporter le LSE promet donc d’être rude.